Réinventer une ville pour toutes et tous !
Au lendemain d’une fin de règne de 25 ans, Marseille est à genou. Emploi, écoles, culture, équipements publics de proximité, transports, logements, une liste infinie de secteurs sinistrés et des quartiers qui se paupérisent. La ville a assez souffert de politiques ségrégatives et de visions court-termistes, il faut la réinventer pour nous toutes et tous.
Avec un développement urbain contesté par ses habitants et imposé par les logiques affairistes et sécuritaires,Marseille se voit perdre ses lieux de liberté et ses mystères, parfois dans la violence symbolique, parfois dans la violence physique. Dans le même temps, le désintérêt et l’abandon délibéré d’une partie de la ville, notamment au centre et au nord, laisse peut-être encore une place au désir. A la Plaine et ailleurs, à Noailles et ailleurs, dans les quartiers nord et partout, nous revendiquons l’espace inutile, « gratuit », comme il faut revendiquer le temps perdu. Car l’espace inutile, au fond, est le lieu le plus utile, c’est le lieu du désir et de la narration. C’est aussi celui du conflit accepté et de la rencontre. Mais l’espace « inutile » ne signifie pas laissé au marché spéculatif. L’espace public est à réinventer en partant du réel, d’une écoute de ces temps « perdus », à l’inverse des projets sur papier glacé et de la pré-définition d’usages chère aux aménageurs, rassurante pour l’urbaniste bourgeois, et des logiques économiques et de phasage « chères » aux constructeurs.
Le discours sécuritaire et l’instrumentalisation de la peur portés par l’ancienne municipalité, encore entendus dans cette période de campagne électorale, a imprégné profondément ses habitants. La bourgeoisie au pouvoir, droite et extrême droite en recherche d’un entre-soi et d’une fabrication fantasmée de quartiers à son image, agite les représentations négatives du logement social. Or, on ne construit plus l’habitat social aujourd’hui comme hier, voire on y construit mieux que dans la promotion privée, car moins soumis aux seules logiques de rentabilité, là aussi réelles malheureusement. Plus de deux tiers de la population marseillaise a droit à un logement social : peut-on alors encore parler de ghettos ? n’inverse-t-on pas les rôles pour mieux masquer une ghettoïsation des quartiers bourgeois avec la banalisation des résidences fermées au sud et à l’est ?
Marseille est particulièrement inégalitaire, conséquence des logiques de l’urbanisation néolibérale : globalisation des marchés entrainant celle des modèles architecturaux et des modes d’habiter, et privatisation de la sécurisation des espaces urbains. Les pouvoirs publics ont mis en œuvre une politique de marketing territorial et de promotion des espaces jugés rentables de la ville. Ces 20-25 dernières années ont en effet vu des rénovations urbaines assurées par des promoteurs immobiliers proches des milieux politiques, destinées à des populations de classes moyennes supérieures, tout en appelant à « casser les ghettos », pour plus de « mixité ». Il faut aujourd’hui décoloniser cet imaginaire, et envisager que le logement social et très social, son rééquilibrage à l’échelle de la commune, soitune réponse nécessaire au mal logement.
Le drame de la rue d’Aubagne aura au moins mis en évidence une crise structurelle du logement à Marseille. Notre ville a vécu ces dernières années des luttes inédites dans leur force et leur convergence, mais ces luttes n’ont fait que résonner devant les murs de l’hôtel de ville pour se disperser en ondes dans les eaux encore noires du vieux port. Alors espérons que Marseille, celle qui « appartient à celui qui vient du large », se réinvente pour toutes et tous.
Alima El Bajnouni & Emmanuel Patris (inspiré également des travaux d’Elisabeth Dorier)